• Article paru dans
  • des Nouvelles Calédoniennes
  • du 9 novembre 2002

























La bibliothèque Bernheim présente jusqu'au 23 novembre un étonnant travail de Patrice Cujo. Sur la base de cartes géographiques, le plasticien fait ressortir la mémoire et l'histoire des îles mélanésiennes.

Non, une île n'est pas inévitablement entourée d'eau et ne s'arrête pas au contour de ses rivages. Tout en conservant les caractéristiques géographiques de ces bouts de terre, et en particulier leur silhouette, le plasticien Patrice Cujo a su les faire « vivre » pour laisser apparaître les légendes, les aires linguistiques ou les faits historiques qui les définissent. « La recherche du parti graphique et illustratif que l'on peut tirer d'une forme donnée est une réaction typiquement mélanésienne. C'est exactement ce que font les sculpteurs lorsqu'ils déterminent l'anthropomorphisme d'un bout de bois avant de le travailler » remarque Patrice Cujo.


Espace-temps, la notion bouleversée

Il a entrepris ce travail particulier sur les cartes, au Vanuatu en 1983, à la suite d'une anecdote typique de la vie océanienne. « Je devais me rendre à un endroit de Port Vila et un ami Ni-Vanuatu a commencé à me faire un croquis pour m'expliquer l'itinéraire. Son dessin s'est chargé de plein de détails sur ce qui s'était passé à chaque coin de rue et je me suis retrouvé avec une notion espace-temps complètement bouleversée » se souvient le plasticien.

C'est donc sur les cartes des îles de Vaté, Tanna, Ambrym, Epi... dressées par le service topographique du Vanuatu que Patrice Cujo a commencé à superposer les courbes de niveau, les éléments toponymiques... et les images issues de son imagination ou, plus encore, des témoignages recueillis sur l'histoire de ces îles.

Et lorsque les toiles ont été présentées au musée de Port-Vila, les réactions des spectateurs ont révélé toute la richesse de ces interprétations, de ces chemins coutumiers, pour le plus grand bonheur d'un ethnologue belge assistant à l'exposition. La majorité des tableaux que l'on peut découvrir à la bibliothèque Bernheim appartiennent d'ailleurs toujours au centre culturel Ni-Vanuatu.


Lire la géographie

Patrice Cujo a donc repris le même travail lorsqu'il s'est installé à Touho en 1997. Deux de ses cartes de Calédonie figuraient cette année parmi les oeuvres exposées à la biennale de Nouméa mais elles étaient un peu à l'étroit dans la case du centre Tjibaou.

« Une toile représente les migrations de trois clans de la côte est à travers la Chaîne. L'autre met en parallèle les aires linguistiques de la Grande Terre et une igname qui aurait la forme du Caillou. En fait, le tubercule prend tout son sens par la parole, sans quoi, ce ne serait qu'un vulgaire légume » explique l'artiste.

Encore fallait-il traduire, par une solution plastique, la complexité des tissus culturels, ce qu'a su faire Patrice Cujo pour proposer une bien curieuse lecture de la géographie insulaire.


Activisme artistique

Durant son séjour au Vanuatu, de 1983 à 1989, Patrice Cujo avait activement participé à la création de l'association Nawita qui vise à promouvoir les artistes de l'archipel. A Touho, il a remis le couvert en participant à la mise en place de Jameli avec les clans de la tribu de Koé. Le but est de rassembler les énergies créatrices de la commune en créant un atelier de travail et un lieu d'exposition permanente.

A l'avenir, il souhaiterait poursuivre son travail sur la cartographie des îles mélanésiennes à Fidji ou aux Salomons « mais cela implique d'y vivre pendant au moins deux ans ! ».